Séminaires de Lecture Rapide - Daniel Gagnon

Daniel Gagnon M.A. orthopédagogueDaniel Gagnon M.A. orthopédagogue

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À propos des accommodements raisonnables, de la laïcité et d'une morale moderne

Ce texte a été écrit en 2006, avant la commission Bouchard-Taylor.

Une extraordinaire opportunité de réaffirmer notre base morale
(Je profite du débat sur les accommodements raisonnables pour y aller d’une réflexion sur la morale, sujet sur lequel j’ai déjà envisagé une thèse de doctorat.)

Alors que le bon peuple manifeste son ras le pompon. Que nos Elvis Gratton nationaux poussent la chansonnette ou y vont de leurs édits municipaux. Que nos politiciens populistes en profitent pour racoler et que les chroniqueurs avisés s’évertuent d’expliquer qu’il s’agit d’un phénomène marginal. On assiste à la croisée de notre questionnement éthique et de nos refus moraux.


Qu’est-ce qui distingue la morale de l’éthique ?
En principe, ces deux mots signifient la même chose.
Étymologiquement, le mot moral vient du latin, mores, qui signifie mœurs. Le mot éthique lui vient du grec, étho, qui signifie aussi mœurs. L’éthologie étudie les mœurs des animaux. L’étiquette ce sont les règles protocolaires de bonne conduite. La morale comme l’éthique régissent la conduite en société. Ils distinguent le bien du mal, comme l’esthétique distingue le beau du laid. En principe.

À l’usage, la morale a été associée aux religions et l’éthique à la sphère laïque.

La morale religieuse impose catégoriquement et objectivement, c’est-à-dire sans appel et peu importe les circonstances. « C’est véritablement un commandement et non pas une règle d’habilité ou un conseil de prudence. [Elle] ne prend pas, si peu que ce soit, en considération l’utilité, l’efficacité ni l’intérêt (1). » Elle provient de l’interprétation de la volonté divine. Le pape impose catégoriquement l’absolu respect de la vie et condamne l’avortement, l’euthanasie, le suicide assisté, peu importe les conséquences.

L’éthique s’interroge avec compassion sur la priorité à accorder à nos valeurs. Elle relativise. « Le bien et le mal vont varier en fonction de critères que l’on déclarera éthiquement recevables, surtout s’ils ont été soumis à une approbation collective (2). » La Cour suprême légalise la prostitution « soft » que sont les danses contacts dans un isoloir, parce que conforme au seuil de tolérance de la société d'aujourd'hui. On accorde des circonstances atténuantes à celui qui tue par compassion. La légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté est au programme.

« Dieu est mort ! »
La morale est née des religions. Elle était nécessaire pour agir à contrepoids des tyrans pour qui tout était permis. Cependant, elle a été aussi trop souvent un outil d’asservissement au service des élites. Au XIXe siècle, Nietzsche, en annonçant la mort de Dieu, annonçait la fin de la morale d’origine divine, la morale des Églises, et l’avènement d’une éthique sociale, celle que se donnent les hommes libres.

Dans les années 60, ce constat s’étend à la société. « L’expression " faire la morale " désigne maintenant le discours des donneurs de leçons, la morale est passée progressivement pour hypocrite, désuète et manipulatoire (3). »

On parle alors de crise morale et depuis le discours éthique a pris le relais. Les codes d’éthique et de déontologie se sont multipliés. L’infaillibilité papale a été remplacée par les jugements sans appel de la Cour suprême. Toutefois, la réaction aux accommodements raisonnables auquelle nous assistons vient nous rappeler que le relativisme comporte des dangers.

Non au relativisme moral
Lorsque « tout est relatif » (oxymoron), il y a danger de dérive. Il faut un point de repère, une constante. « Ainsi, la théorie de la relativité d’Einstein n’est pas totalement relative, sinon le monde dans lequel nous vivons serait impossible. Dans la théorie d’Einstein, il y a un absolu, une constante en fait : c’est la vitesse de la lumière qui est impossible à dépasser(4). »

Ce qui veut dire, qu’on n’échappe pas à la nécessité d’une morale catégorique, celle qui ne se gêne pas d’imposer ses valeurs, qui balise la différence entre le bien et le mal. Et cette limite ultime, ce sont les droits de la personne.

Quand Richard Martineau affirme à Tout le monde en parle que l’égalité homme femme, ce n’est pas négociable. Quand un militaire hétéro justifie sa participation aux « Outgames » en disant que se battre pour la liberté en Afghanistan, c’est aussi se battre pour le droit des minorités chez-nous. On ne peut qu’applaudir. Que dis-je? Se lever et, très très longtemps, ovationner cette extraordinaire affirmation des valeurs morales fondant notre modernité. Voilà définies catégoriquement, comme communauté, notre base morale et les limites de notre tolérance.

“La laïcité doit être imposée aux institutions publiques et aux lieux qui les représentent, pas aux personnes... ”


Toutefois
Les Québécois, comme peuple, nous nous sommes souvent définis par notre tolérance. Vous voulez porter le voile ! Bien sûr... Nous étions fiers de dire que nous accueillons la différence et que nos valeurs incluent la tolérance religieuse. Mais lorsqu’il nous est dit que le voile symbolise la soumission de la femme, cela nous apparaît intolérable et nous voilà pris dans un dilemme éthique, une confrontation de valeur. Comment trancher ? Pourquoi lorsqu’un signe religieux est imposé à une femme est-il un signe de soumission et lorsque imposé aux hommes, comme le port du turban chez les Sikh ou le port de la barbe chez les Hassidim, il ne l’est pas ? La soumission est-elle dans le regard de l’autre ? Évitons de juger les symboles. Car d’autres nous disent que le voile est une manifestation ostentatoire de sa croyance. Manifestation d’humilité, de soumission ou de force? Qui croire ?

“ La tolérance doit demeurer une valeur dont nous sommes fiers. C’est une force, qui n’a rien à voir avec le fait de se laisser manger la laine sur le dos. L’intolérance des autres doit être condamnée, pas imitée. C’est aussi ça, se battre pour la liberté... ”


La laïcité doit être imposée aux institutions publiques et aux lieux qui les représentent (en respect de l'histoire religieuse de ces lieux), pas aux personnes que nos droits généreux doivent continuer à protéger. Et pourquoi pas un juge qui porte le voile ou le turban ? En quoi serait-il moins neutre qu’un juge d’obédience conservatrice ou libérale. La tolérance doit demeurer une valeur dont nous sommes fiers. C’est une force, qui n’a rien à voir avec le fait de se laisser manger la laine sur le dos. L’intolérance des autres doit être condamnée, pas imitée. C’est aussi ça, se battre pour la liberté des minorités.

Contentons-nous d’affirmer une moralité moderne qui accorde la priorité à la Charte des droits de la personne. Principe qui a déjà pénétré la sphère juridique. Toutefois, le débat actuel, soulevé par les médias, en réaction au non-respect des principes de la Charte dans quelques incidents de la vie quotidienne, nous fait comprendre qu’il est nécessaire de le réaffirmer, pour que tous intègrent le message.

1 http://web.archive.org/web/20070323124631/http://perso.orange.fr/usp-lamirandiere/morale_lb.htm
2 Ibidem
3 Ibidem
4 Si vous êtes un ancien participant et que vous avez fait le premier test que j’envoie après le séminaire, vous reconnaissez sûrement les idées que je développe de façon ludique dans ma nouvelle, Rencontre avec l’absolu au Petit Néant du Coin. Sinon, je vous invite à la lire en cliquant sur ce LIEN


Commentaires

Mon propos est simple : même s'il peut avoir l'air attrayant d'imposer la laïcité, cela aura l'effet contraire à celui qu'on recherche.

On va faire en sorte que des gens qui ne peuvent plus afficher les croyances religieuses légitimes qu'ils ont ne participeront plus à l'espace public, Au lieu d'aller à l'école publique, qui reste le meilleur lieu d'intégration des immigrants, ils se créeront des écoles privées, des institutions de santé confessionnelles, etc...

Et là, au lieu d'avoir des gens à qui on peut enseigner nos valeurs, on aura des gens qui vivent dans des ghettos. Est-ce vraiment ça que vous voulez?

En plus, que cela vous plaise ou non, la liberté de religion est garantie par les Chartes des droits, qui s'appliquent partout et tout le temps et ne font pas cette distinction entre espace public et vie privée. Et c'est la même Charte des droits qui garantit l'égalité des hommes et des femmes. Si nous ne faisons pas de compromis sur cette valeur, nous ne devrions pas en faire sur la liberté de religion, de croyance et d'expression.

Pour moi, la solution est simple : Les institutions de l'État doivent être laïques, elles ne prennent partie pour aucune religion. Les individus, eux, ont le droit de croire à ce qu'ils veulent tout le temps.

Michel C. Auger
Journal La Presse

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